La réalité du développement se trouve d'ailleurs

         Les indépendances nationales ont été saluées par les peuples africains comme une libération totale du continent. Pourtant, la politique impérialiste des anciens métropoles n'a pas du tout changé. Si l'indépendance politique était presque acquise, le volet économique continua d'échapper complètement  aux jeunes républiques. La politique du néocolonialisme se dessina à travers plusieurs activités nationales. Les anciens métropoles firent en sorte que rien ne puisse se faire sans leur aval (consentement). Certains pays du Sahel producteurs de pétrole (par exemple) ne peuvent pas vendre leur produit sans passer par la France. L'assistantialisme se développa plus que jamais. Une nouvelle forme de colonisation commença. C'est l'aide au développement.

          Le discours du développement vient souvent dans les propos tenus par tous les responsables politiques. Qu'ils soient du nord ou du sud, tout le monde veut se développer. Malheureusement, il n'y a ni de définition, ni de formule magique à attribuer au développement. La référence jusqu'à présent admise est la modernisation.  Avec ses hauts et ses imperfections, il est normal qu'on puisse mettre en cause la modernisation en tant que point de référence du développement. C'est pourquoi, il y a lieu de se demander: qui aide qui et qui développe qui? Presque toutes les matières premières utilisées par les pays dit développés viennent des pays dits "sous développés". On peut ainsi affirmer que les pays sous développés sont potentiellement riches, contrairement aux pays actuellement dits développés qui sont pauvres. Mais attention, ces pays "pauvres" ont de la matière grise et la malignité qui leur font des maîtres de ce monde. Les pays sous développés leur donnent leurs matières premières à des prix dérisoires. Ils les transforment et les produits manufacturés attirent les pays sous développés vers eux, leur mettant ainsi dans un cercle vicieux de leur domination et de leur dépendance. C'est ici que s'inscrit le problème insalubre de la dette des pays les moins rusés. Cette forme de coopération aide ainsi les anciennes puissances coloniales à piller les ressources des pays dits sous développés. Il est vrai qu'ils ont construit des aéroports, ils ont formé quelques cadres nationaux et mis en place plusieurs autres infrastructures. Cela n'est qu'un paravent de la réalité du progrès réel que devaient avoir des peuples "sous développés". En effet, c'est à travers ces aéroports que transite le trafic d'or, du diamant, du cuivre et d'autres matières premières sans aucun contrôle vers les pays dits développés. La complicité des cadres nationaux, souvent formés dans leur entourage n'est pas du tout neutre. L'université occidentale est devenue, pour la plupart des africains, un outil de formation du nouveau colon déguisé dans son propre pays. C'est par la formation et la culture que les impérialistes véhiculent leurs valeurs. Ce n'est pas sans arrière pensée qu'ils forment les cadres nationaux dans la ligne de leur idéologie. L'expérience de plusieurs pays africains a montré que les soi-disant intellectuels formés dans ce courant étaient et sont prêts à vendre leurs pays.

          Ainsi, une question se pose. Est ce que ce sont les pays dits "développés" qui participent au développement des pays les moins avancés ou ce sont ces derniers qui participent au développement des pays supposés développés? Si on s'en tient à la modernisation et qu'on est conscient que les économies des pays avancés utilisent la matière première des pays moins avancés, on tire la conclusion et à juste titre, que ce sont les pays moins développés qui participent au développement des autres pays.

          Actuellement les diverses formes d'assistantialisme sont à la mode. Dans les faits, elles permettent aux pays riches de maintenir leur domination et exploitation sur les pays moins avancés. C'est ce qu'on appelle la coopération entre pays du nord et du sud. Cette coopération, qui peut réellement être fructueuse et s'étendre sur plusieurs domaines de la vie socio-économique et culturelle des pays, s'embourbe actuellement dans l'aide sous ses diverses appellations (aide bilatérale et multilatérale, aide d'urgence, aide au développement, ...).  L'aide n'a jamais été neutre et unilatérale. Sans intérêt, les donneurs d'aides sont réticents. D'ailleurs, quand on pense combien la matière première des pays moins développés participe à la formation des PIB de ces pays et qu'on se rappelle que l'enveloppe financière globale de l'aide de ces pays ne dépasse jamais 1 % de leurs PIB, on comprend à quel point l'aide peut participer au développement. La philosophie de l'aide devrait être fondamentalement revue dans l'optique d'un développement durable des pays bénéficiaires.

          Par ailleurs, le concept "développement" doit inclure des notions comme démocratie, liberté, etc. Dans les pays avec les jeunes démocraties, les leçons de liberté et de démocratie sont dictées par les occidentaux. En effet, tous les partis politiques d'opposition sont directement ou indirectement soutenus par les ambassades étrangères. Cela fausse en partie le jeu de l'opposition démocratique qui n'est pas du tout indépendante dans ses manoeuvres et qui plus tard, si elle parvient au pouvoir, se trouve à la merci de ses anciens guides étrangers. Tout cela est en partie le résultat du fait que plusieurs pays moins avancés ne sont pas encore maîtres de leurs économies et donc de leur développement. C'est ainsi que les partis politiques d'opposition dans les pays moins avancés ont peu de moyens économiques pour survivre. Malgré le risque évident de perdre toute identité et toute indépendance et d'être des marionnettes des puissances étrangères, ils se laissent ainsi tomber dans le piège des aides étrangères. La conception du développement par ces partis politiques est alors faussé au départ, puisqu'ils doivent satisfaire d'abord les exigences du pays bienfaiteur-aidant. Malheureusement, dans la plupart des pays qui prétendent maîtriser la démocratie, la survie économique de plusieurs partis politiques est en grande partie liée aussi à la corruption. Apparemment, on ne peut pas être libre, indépendant ou démocrate si économiquement on dépend de quelqu'un d'autre.

          Depuis bien longtemps, le Rwanda était classé parmi les pays les plus pauvres du globe. Pourtant, même s'il en est ainsi, les pays supposés riches ne lui ont jamais laissé la liberté d'utiliser ses ressources propres dans sa lutte pour le développement. Le Rwanda n'a donc jamais été maître de sa destinée, de sa pauvreté. Presque toutes les grandes politiques économiques ont été prises en accord sinon dictées par les bailleurs de fonds. Rien donc d'original ne pouvait sortir de ces politiques, puisqu'elles étaient conçues pour compléter les politiques des métropoles. Or, le discours dominant dans ces pays occidentaux, qui isole l'économique comme une fin en soi et le fait passer avant toute autre chose, semble ne pas coller avec les réalités socio-économiques africaines. Nous pensons que l'économique doit venir au soutien du secteur social. Il devrait être absolument à son service. L'inverse nous est imposé d'ailleurs. Il ne peut servir qu'aux autres.

          C'est pourquoi, dans son parcours difficile vers le développement, et sans toutefois négliger le secteur économique, le Rwanda devrait d'abord s'occuper du secteur social, dont les performances jailliraient après sur les autres secteurs. Le centre de tout son progrès devrait ainsi être le développement social. Pourtant, le secteur social préoccupe peu sinon pas du tout les bailleurs de fonds. Sans parler des adultes, l'analphabétisme des jeunes reste un grand fléau et dépasse 50 %. La perte du rôle organisateur de l'Etat suite à la mondialisation de l'économie notamment par les privatisations* actuellement à la mode dans plusieurs pays rend le secteur social plus fragile. Il se trouve de plus en plus à la merci de quelques individus plus malins que les autres qui se sont enrichis illicitement et qui continuent de s'enrichir au grand mépris de la grande masse populaire. La mondialisation de l'économie nous oblige à nous adapter aux normes et lois dictées par les pays dits développés, même si elles ne nous conviennent pas. Bref, les pays moins avancés, dont le Rwanda,  sont loin d'être des responsables de leur destin actuel et de demain.

          Tout cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions. Est ce que un pays complètement dominé économiquement et politiquement peut être responsable de sa destinée? Apparemment non. C'est pourquoi, tout ce qui s'est passé au Rwanda, dont les massacres de 1994, ne devrait pas être seulement mis sur le dos du peuple rwandais. Ce n'est qu'un couronnement d'une situation longtemps en gestation depuis 1990 et entretenue par les différents acteurs internes et externes du développement au Rwanda. Quand au début de la guerre, les rwandais disaient à haute voix que derrière elle, il se cachait un certain monstre ethnique, les spécialistes (entre parenthèses) du Rwanda ont nié catégoriquement cette réalité. Se sentent-ils maintenant coupables de leur position? Non seulement la responsabilité dans le drame rwandais de 1994 est partagée entre les hutu et les tutsi, mais aussi et surtout avec l'occident. Malheureusement, quand on est pas maître de « son chez-soi », on y est en même temps responsable de tout et de rien. C'est ça le malheur d'une grande partie du peuple rwandais.



*  Les privatisations hâtives entreprises par les nouvelles autorités du FPR après la prise du pouvoir à Kigali semblent aller à l'encontre des intérêts de la grande masse paysanne rwandaise. En effet, il semble que les fonds recueillis, s'ils ne servent pas à remplir les poches de quelques individus, vont seulement dans le secteur de l'armement. Malgré l'insistance des institutions de Breton Wood d'accélérer les réformes, les dossiers des entreprises à privatiser devraient d'abord être mûris. Il reste que normalement, vous ne pouvez privatiser que ce qui vous appartient, ce qui n'est absolument pas le cas pour le FPR-inkotanyi.